Diapason d'Or
April 2014
CD "La Oreja de Zurbaran"
La Oreja de Zurbaran Joli titre, cette « Oreille de Zurbaran ». Il est admis qu'après la génération glorieuse de Victoria et Guerrero, la musique sacrée espagnole tombe en léthargie, ressasse ses gloires tout en cédant aux sirènes italiennes. Vraiment ? Insensibles aux réflexions de leurs confrères en art, les musiciens ? Qui composait quand Zurbaran (1595‑1664) peignait ? Enquêteur patient, Paul Van Nevel offre en un disque le contexte musical de l'exposition bruxelloise (jusqu'au 25 mai au Bozar). Contexte tourmenté : la Contre-Réforme chasse l'hérésie et exige la clarté, Thérèse d'Avila et Jean de la Croix distillent les tentations, l'institution balance entre rempart et récupération. Les maîtres de chapelle ont, à concilier l'idéal nouveau de l'extase mystique, d’essence individuelle, et l’universalisme de la Foi, stile antico de rigueur. Le Miserere d’ Andrés Barea (ca 1610‑1680), alterne les versets polyphoniques en double choeur (regard coulé vers Venise) et le plain‑chant. Une découverte exceptionnelle avec ses textures changeantes, ses effets d'écho sur « Tibi soli peccavi »,la montée en puissance du « Libera me »,les altérations furtives des cadences, tout un vocabulaire magnifié par Van Nevel. Son équipe fidèle du Huelgas n'est pas moins habile quand l'écriture se réduit à une déclamation homophoniques sur un rythme incantatoire: hypnotiques, les litanies du Lauda Sion à quatre de Juan Garcia de Salazar (1639‑1710) contrastent avec le contrepoint doux de l’Agnus Dei de Diego de Pontac (1603‑1654). Autre trouvaille, les voluptueuses Lamentations de Fray José de Vaquedano (1642‑1711), retards harmoniques et vocalises chavirées sur les lettres hébraïques (trente‑cinq mesures pour CAPH !) Ponctué par trois villancicos nostalgiques, ce miroir sonore aux à‑plats intenses et aux grandes ombres austères de Zurbaran prend fin sur le Stabat Mater de Miguel de Ambiela (1666‑1710), dépouillé et grandiose.